Article de Gabrielle Cantin paru dans Le Nouvelliste, le 5 avril 2025

Jacques T. Watso, conseiller élu au Conseil des Abénakis d'Odanak, craint pour son «héritage culturel», alors que des groupes s'auto-identifiant comme «abénakis» persistent en Nouvelle-Angleterre. Alors que des groupes de Nouvelle-Angleterre revendiquent leur identité abénakise, les Abénakis d’Odanak et de W8linak mènent un long combat contre ce que l’élu Jacques T. Watso qualifie d’ «usurpation», d’«arnaque» et de «fraude». «C’est mon héritage culturel qui est en jeu.»

En 2011 et 2012, quatre groupes s’identifiant comme «abénakis» ont été officiellement reconnus dans l’État du Vermont, à quelques centaines de kilomètres des communautés abénakises d’Odanak et de W8linak.

Depuis, les représentants légitimes des communautés abénakises du Québec mènent une bataille pour rétablir les faits relatifs à l’identité de leurs prétendus cousins américains.

Mais voilà que les revendications des groupes américains se sont transportées dans l’État voisin, le New Hampshire, où un projet de loi visait une modification de la composition de la Commission du New Hampshire sur les affaires autochtones. L’objectif étant d’y inclure des représentants des groupes autoproclamés «abénakis».

Une étape de plus vers l’obtention d’un statut légitime dans l’état, craignait Jacques T. Watso, conseiller élu au Conseil des Abénakis d’Odanak.

Dans une décision rendue le 26 mars dernier, l’État du New Hampshire a finalement refusé de légiférer en la matière. Ne mettant tout de même pas fin au combat contre le phénomène de l’auto-identification, soulève M. Watso.

Les groupes s’identifiant comme «abénakis» continuent malgré tout leurs activités sur le territoire ancestral, le Ndakina, en plus de multiplier les efforts pour faire valoir «leur narratif».

«Ce sont de faux autochtones qui se créent des commissions pour se donner une légitimité», critique le conseiller élu.

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«C’est bien documenté. Ce sont des familles canadiennes-françaises d’origines qui ont migré aux États-Unis», avance Jacques T. Watso.

Darryl Leroux, professeur à l’Université d’Ottawa, fait partie des voix qui s’élèvent pour critiquer la démarche des groupes auto-identifiés «abénakis» au Vermont. Dans un article scientifique paru en 2023, le chercheur reconstruit la généalogie d’un des groupes s’identifiant comme «abénaki».

Il conclut que 97,8 % des membres n’ont aucun lien avec la Nation abénakise ni avec aucune autre Première Nation. Ils seraient effectivement d’origines canadiennes-françaises.

Comment expliquer, donc, que les groupes vermontois ont pu obtenir leur reconnaissance officielle? Darryl Leroux pointe du doigt, entre autres, le processus de reconnaissance de l’État du Vermont, qu’il qualifie de «vague et ouvert à l’interprétation». «Il ne requiert aucune justification généalogique», écrit le chercheur, qui souligne également que des motivations politiques pourraient avoir leur rôle à jouer.

«Dans certains districts électoraux très compétitifs, reconnaître les revendications de centaines — voire de milliers ― d’électeurs peut être suffisant pour influencer une élection.»

Les erreurs passées des représentants américains ne font pas d’eux de «mauvaises personnes», précise quant à lui Jacques T. Watso, qui garde espoir que la reconnaissance octroyée aux groupes visés soit révoquée. «Il faut renoncer à cette reconnaissance-là, quitte à refaire le processus adéquatement, sans trafiquer d’informations.»

« Ils réécrivent notre histoire »
Pour Jacques T. Watso, impliqué dans le dossier depuis plusieurs années, il est nécessaire de mettre fin à cette «arnaque», comme les répercussions sur les communautés abénakises légitimes s’accumulent.

«Ça a un impact sur le développement de notre culture. Ils réécrivent notre histoire, ils trafiquent notre langue et exploitent de façon monétaire notre art et notre artisanat», explique-t-il.

L’appropriation s’étendrait par ailleurs aux fonds publics dédiés aux peuples autochtones des États-Unis. Jacques T. Watso constate que les groupes autoproclamés abénakis draineraient les fonds réservés aux communautés autochtones légitimes.

«C’est une grosse machine monétaire que de “jouer aux indiens”, dit-il. C’est malhonnête pour les payeurs de taxes américains. Leur argent va pour de fausses organisations.»

Bien qu’il se dise prêt à mener le combat pour le maintien de son «héritage culturel», Jacques T. Watso regrette de devoir se soucier de ce qu’il qualifie de «fraude pure et simple». «C’est du temps que je ne passe pas sur ma propre communauté.»

«Mais, de plus en plus, les gens écoutent», se réjouit-il, en savourant encore la récente victoire au New Hampshire.